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sans-maitre

Je fais le deuil de…

27 Janvier 2020 , Rédigé par Soumia Mejtia

                                         Je fais le deuil de…

                                         Je fais le deuil de…

                                                                                          

                                                    « Au bruit du carillon qui chante dans la brume. »

                                                                   La cloche fêlée, C Baudelaire

J’ai fait le deuil de beaucoup de choses dans mon pays. Serait-ce la fameuse étape de la désillusion qui survient à un moment pour nous élargir la vision réaliste dans laquelle il faut réellement s’y cantonner ?

Non !

La désillusion est bien plus magnanime, elle m’a renseignée sur l’aspect conjecturel de la vie et j’ai approuvé le deal.

C’est plutôt un sentiment de vertige de l’horizontalité, l’horizon est élusif, opalescent et sans rigueur.

Mais, puis-je encore me soutenir dans cette distance que je laisse entre moi et mon monde ?

J’ai, il y a un moment, créé une sorte d’ambiguïté qui fait que je n’éprouve plus ce qui se passe, je ne suis plus à la page, je n’aime plus expliquer  car j’ai bien senti l’inutilité de la chose : expliquer ! Pourquoi donc ?

Est-ce du pessimisme, de la vitupération ?

Qu’importe ! Je ne  cherche pas à m’expliquer aussi.

Est- ce un aveu d’échec ?

Certes, il y a échec : je le sens dans les plus infimes partie de mon corps, de mon être.

Est-ce mesquin d’étaler cette proximité avec vous, lecteur ?

Non, car, tout lecteur qui se penchera sur ces mots est bien lui aussi en échec.

Mon échec, je l’ai senti, depuis que je me rendais compte que chaque jour est devenu plus dur que le précédent. Chaque jour, nous perdons plus qu’il n’en faille, chaque jour, nous sommes tenus à faire tourner la roue, à casser les bâtons avec nos dents, à graisser le moyeu, à standardiser les mystères de la vie, à épaissir le brouillard qui nous aveugle…nous ne sommes même pas en mesure de suivre les reflets sur le mur, la caverne est ensevelie en nous, l’espoir de la lumière jaillissante n’émanera pas de nous ou d’ailleurs.

Et en dépit de la perfectibilité entérinée en nous, qui fait que nous chercherons toujours le perfectible de notre monde, j’en fais le deuil aussi. Le perfectible ne peut se confectionner en l’absence de la matière. Comment sinon ?

Je pense aussi que quand nous arrivons au stade du deuil, nous sommes dans une sorte de résignation et de conciliation, ce qui est bien vrai : j’accepte donc que le fameux prix Driss Chraïbi de la région Casablanca-Settat annoncé il y plus d’un an, auquel mon éditeur a cédé sept exemplaires de mon livre Luciole et Sirius, j’accepte d’en faire le deuil, mais je refuse de le taire, de taire que ceux qui l’ont lancé, ont eu juste le zèle de l’annoncer. Ils ne se sont  plus adressés aux participants, n’ont pas daigné répondre aux mails, ils ont juste publié un article indécis et informe,  affirmant que les résultats seront annoncés avant fin 2019. Je qualifie ce comportement de non-respect, de manque de considération pour les auteurs marocains. 

Je fais aussi le deuil de l’idée de l’écrivain marocain qui n’a aucune audience dans son propre pays et aussi du livre qui se promeut aujourd’hui  dans un spectacle de mannequinat presque !

Car les évènements en cours qui –prêchent- la cause du livre ne font que lui ôter cette part mystérieuse qui lui confère toute son esthétique. Je n’ose plus en parler, j’ai envie de garder le mystère du livre, c’est important et salutaire pour le livre, car chaque livre constitue un parcours de lecture pour un lecteur et ce parcours doit être à chaque fois nouveau pour chaque nouveau lecteur.

Je pense qu’il faut surtout instruire l’univers du livre en mettant l’accent surtout sur l’acte de lire.

Je fais le deuil de l’altérité dissoute dans la virtualité.

Je fais le deuil du monde qui n’est plus justiciable. Il est expirant, il disparait dans la vélocité absurdement, il disparait sous nos yeux aveuglés et stupéfaits d’un trop de choses qui se passent sans que l’on puisse définir ou en statuer sur les causes et les effets.

Je fais le deuil de l’instruction publique que celle privée ne peut rien lui envier, elle ne peut même pas être dans le rôle d’une trousse de secours.

Je fais le deuil de l’instruction médiatique, la dissonance fait rage, et les timbres ne sont plus vénaux.

Je fais le deuil de nous tous, je le fais dans le symbole de la perte ou l’antiphrase qui est le non-deuil, qu’importe encore : ceci peut se lire dans la fadeur, la banalité, l’indifférence… mais tout est sentiment, même l’indifférence n’est pas lieu de non-sentiment, on peut dire de post-sentiment, s’indifférer, c’est d’abord avoir senti l’amertume, toute l’amertume particulière que l’on pourrait éprouver à un moment succinct, un moment de pure vérité : sentir notre vraie condition humaine que nous ne pouvons abolir, elle surgit à chaque fois que le brouillard que nous épaississons se dissipe.

Etait-ce le récit d’un faux deuil ?

Au final, cette interrogation est nerveuse, elle déroute donc, elle démultiplie les réponses.

                                                                                                 Soumia MEJTIA

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